lundi 29 septembre 2008

Percée des produits halal à La Réunion

CLICANOO.COM | Publié le 29 septembre 2008

Au-delà des classiques boucheries et restaurants, les produits et services conformes au rite musulman se développent à la Réunion comme en France, où le marché explose. Sur l’île, un magasin de surgelés exclusivement halâl a ouvert en novembre à Saint-Denis et une marque spécifique de volailles a été lancée en avril par Crête d’or. Quant au premier support d’assurance vie 100 % Shariah compatible proposé depuis juin par la BFCOI, il a largement dépassé ses objectifs de collecte. Grâce à Dieu ?

On est loin aujourd’hui du tollé qu’avait suscité dans une partie de l’opinion à la fin des années 1990 l’initiative de Crête d’Or. L’entreprise avait décidé d’apposer sur ses emballages une étiquette certifiant le caractère halâl de ses volailles. "Certains consommateurs non-musulmans ont complètement rejeté l’idée, raconte Maurice Cerisola, ancien président de la société. 

À l’époque, Aude Palant-Vegoz a donc organisé une émission débat à la radio où Monseigneur Aubry et moi-même avons parlé du monothéisme et de l’importance des signes religieux." À la suite de cette intervention, certains magasins ont tout de même insisté pour que Crête d’Or retire ses étiquettes. D’autres les ont laissées. 

"Depuis, l’opinion a évolué", observe Maurice Cerisola. Et le marché des produits halâl aussi. 

Si son explosion apparaît mondiale, sa progression est favorisée à la Réunion par l’existence de 70 000 Réunionnais à confession musulmane, soit environ 9 % de la population, dont la majorité habite dans le Nord de l’île, l’autre moitié se partageant essentiellement entre le Sud et dans une moindre mesure l’Est et l’Ouest. 

Les boucheries halâl installées de longue date, ainsi qu’une quarantaine de restaurants non seulement de couscous ou de tagines, mais aussi des snacks et des pizzerias religieusement corrects ne sont donc plus les seuls à avoir investi le marché. Crête d’or a lancé en avril la marque "Al Halâl" de produits frais de charcuterie et de volailles. 

Bien que l’entreprise ait toujours respecté le rituel musulman de l’abattage pour l’ensemble de sa production, elle a voulu en démarquer une partie, immédiatement identifiable en rayon. Pour cela, ses produits ont été certifiés par la commission de surveillance du halâl de la Réunion (voir encadré ci-dessous), après la réorganisation d’une partie de ses procédés de fabrication. 

"Il nous a fallu, par exemple, supprimer un colorant, précise-t-on. Les contrôles de la CSHR sont particulièrement rigoureux." Le lancement d’une marque distincte par Crête d’Or présente un double-avantage puisque d’une part, elle offre une garantie bien visible pour les musulmans du caractère halâl certifié du produit. D’autre part, elle permet d’éviter de "froisser les consommateurs non-musulmans qui, pour certains, ne conçoivent pas que des prières d’une religion, a fortiori différente de la leur, puissent être récitées pendant l’abattage des animaux", explique-t-on. 

Si la société n’a pas souhaité communiquer de chiffres en raison du caractère "jeune" de la marque, elle observe, au même titre que les acteurs de la distribution, que les musulmans continuent plus volontiers de fréquenter les boucheries halâl indépendantes que les grandes surfaces pour acheter leur viande. 

Ainsi, chez Vindémia (enseignes Score, leader dans le département), les produits halâl ne représentent pas plus d’1 % des ventes de viande fraîche, boucherie et charcuterie confondues. "Les ventes en charcuterie, bien qu’elles restent relativement minimes, connaissent un essor depuis un an, souligne-t-on chez Vindémia. 

En revanche, la boucherie stagne. Selon nous, la communauté musulmane continue à se fournir dans les commerces de proximité pour des raisons d’habitude et de solidarité intercommunautaire avec les petits bouchers halâl." 

Dans ce contexte, Vindémia n’affiche pas d’ambition de développer le marché et se contente de "suivre l’évolution", précise-t-on. Mais depuis ces derniers mois, l’agroalimentaire, la restauration et la distribution ne sont plus les seuls secteurs à proposer des produits halâl. 

En milieu d’année, le premier contrat d’assurance-vie 100 % Shariah compatible de France a été créé par la BFCOI. Un appel public à l’épargne en finance islamique a été lancé entre le 29 février et le 2 juin derniers. Depuis, l’initiative a remporté l’adhésion de plus de 200 souscripteurs locaux, pour une collecte de 15,7 millions d’euros. 

"Notre objectif de 10 millions d’euros a été largement dépassé", commente Jérôme de Fresne, responsable de la gestion de patrimoine pour la BFCOI. Et ce, sans que la banque ait eu besoin d’investir un seul denier dans la communication sur ce placement accessible à partir d’un dépôt de 10 000 euros. Et selon Jérôme de Fresnes, "le succès ne se dément pas. Trois mois après le lancement du support Shariah Liquidité, déclare-t-il, nous constatons un nombre extrêmement réduit de demandes de retrait de fonds, soit moins de 5 % des souscripteurs. Par ailleurs, nous avons reçu un nombre significatif de nouvelles demandes de réservation auxquelles nous donnerons probablement suite dans un proche avenir. " 

Condition sine qua non de sa validité, le support répond aux principes de la finance islamique, en tête desquels figure l’interdiction de l’intérêt, de la spéculation et des actifs illicites au plan des préceptes religieux (pas de porc, de pornographie, de jeux de hasard ni de boissons alcoolisées). "Le mécanisme du support est simple, explique le responsable à la BFCOI. Il s’agit d’acheter des matières premières licites et de les revendre. On ne parle donc pas d’intérêt mais de gain commercial, et pas non plus de spéculation car une marge est intégrée au prix de vente."

“MOINS POUR LE GAIN QUE POUR L’ÉTHIQUE”

Si la rémunération sensiblement inférieure aux autres placements monétaires n’a pas fait office de repoussoir, c’est parce que selon Jérôme de Fresnes, "ce support véhicule une image positive de l’islam, déclare-t-il. 

Le support a généralement été souscrit par des érudits de la communauté locale pour valoriser l’aspect éthique de leur religion." Précurseur dans le domaine des placements financiers islamistes en France, la BFCOI est invitée au second forum islamique qui se déroulera à Paris en novembre. 

"Depuis longtemps, en France, on envisage d’importer une banque islamique, explique Jérôme de Fresne. Par conséquent, l’alternative que nous avons choisie à la Réunion interpelle. En tant que banque de réseau, nous avons réussi quelque chose de remarquable." De là à dire que faire du halâl tient de la recette miracle... 

Le placement Shariah compatible lancé le 1er août par la BNP a remporté moins de succès et n’a pas atteint ses objectifs en terme de collecte. Si l’établissement bancaire ne remet pas en question l’attrait de son produit, elle attribue plutôt son démarrage décevant à la conjoncture économique mondiale considérablement dégradée ces dernières semaines par la crise financière, ainsi qu’à l’importance du montant minimum de l’investissement - 50 000 euros. 

Même si elle craint que la clientèle ciblée puisse être tentée, dans les prochains mois, de profiter des dernières opérations de défiscalisation Girardin à taux plein dans l’immobilier pour investir son argent, elle veut encore croire en son produit. 

Bref, le marché du halâl semble avoir de beaux jours devant lui. En métropole, des produits laitiers, des eaux en bouteille, du Champagne et même des bonbons Haribo sont depuis peu estampillés halâl. Même si ce genre d’initiative est parfois consédérée comme excessive au sein même de la communauté musulmane, une chose est sûre, spiritualité et business réunis sur un tandem ont toutes les chances de faire un bon bout de route...

La commission de surveillance du halâl de la Réunion
La commission de surveillance du halâl de la Réunion (CSHR) a été mise en place sous forme de GIE (Groupement d’intérêt économique) par le Conseil régional du culte musulman (CRCM) et le centre islamique de la Réunion (CIR). Elle a labellisé en novembre 2007 l’abattoir Ducheman-Grondin de Saint-Pierre. Aujourd’hui, elle affirme continuer "ses efforts vis-à-vis des acteurs locaux de l’agroalimentaire, industriels, pâtissiers, restaurateurs, afin que ceux-ci puissent offrir une gamme de plus en plus large de produits à présenter à la marque "Halâl Réunion" et proposer ainsi aux musulmans réunionnais de meilleures garanties et un meilleur choix quant à la consommation halâl."